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Pourquoi le « devoir de visite » est une vraie fausse bonne idée ?

Revenons aux bases.

Lorsque deux parents se séparent, amiablement ou avec l’arbitrage du Juge aux affaires familiales, ils fixent les modalités de résidence habituelle de l’enfant et le droit de visite et d’hébergement de celui au domicile duquel la résidence n’a pas été fixée.

Soit on se trouve en résidence alternée.

Soit la résidence est fixée chez un parent et l’autre parent exerce sont droit de visite et d’hébergement une fin de semaine sur deux et la moitié des vacances scolaires : le classico.

 

Problème ?

Il n’existe pas de moyen de forcer un parent qui n’exerce pas son droit de visite à le faire.

Pourquoi ? parce que c’est un droit et non un devoir justement et qu’un droit ne peut être soumis à contrainte.

 

Pour autant, ce « non exercice » pose en effet problème au parent qui le « subit ».

Il n’est peut-être pas prévenu, il est prévenu en dernière minute, il ne peut pas s’organiser, il ne peut jamais avoir de moment à lui ou de respiration sans enfant…

Et ce sont bien souvent les mères.

 

Face à ce désengagement de certains parents/pères le Président de la République annonçait, dans une interview accordée au magazine ELLE la semaine dernière, vouloir ouvrir le débat sur la mise en place d’un « devoir de visite ».

 

Il déclarait « il doit y avoir non seulement un droit, mais un devoir de visite, un devoir de suivi , d’éducation, de poursuite du projet parental au-delà du couple ».

Il indiquait encore « qu’il est fou d’avoir quasiment normalisé, légitimé que le devoir d’un père pouvait se chiffrer en euros pour solde de tout compte ! Le reste c’est à dire la charge mentale, la nécessité de s’occuper de l’enfant, de son éventuel échec scolaire, c’est trop souvent à la mère de le gérer… ».

 

Alors oui bien sûr tout cela est juste ou du moins pas faux.

Ces constats, et parfois ce désarroi,  sont ceux de tous les praticiens du Droit et des parents concernés.

 

Derrière ces déclarations on voit bien la bonne idée louable de soulager les mères, de ré-impliquer les pères déserteurs et de rappeler les parents à leurs engagements et obligations.

Oui.

Sauf que rien ne va dans ces déclarations et dans ce « débat », ni dans la forme, ni dans le fond.

 

On commence par la forme.

Commencer son allocution en rappelant qu’un enfant « c’est un père, une mère »

Ben en fait non, en 2024 un enfant ce n’est plus forcément un père et une mère.

Continuer en nous disant que « on n’arrête pas d’être parent au divorce ou à la séparation »…

Breaking news ! Ou de l’art d’enfoncer les portes ouvertes.

Merci on sait qu’on ne divorce pas de ses enfants et qu’on ne les déshérite pas non plus d’ailleurs, le lien de filiation étant quasi indéfectible contrairement au lien conjugal.

En outre, lancer ce débat de façon assez stigmatisante sur les pères déserteurs c’est mettre de côté et oublier les pères présents, les pères qui voudraient voir leurs enfants mais n’y arrivent pas en raison de l’obstruction de la maman (oui ça existe)…

 

Bref, c’est surfer sur la caricature et aussi (j’y vais cash) sur le clientélisme et “l’effet d’annonce” quand les violences faites aux femmes et l’égalité homme-femme ont été déclarées « grande cause du quinquennat » en 2017 , et que dans les faits  on a été plutôt à la traîne sur le sujet…

 

Et venons en au fond.

On trouve nombre d’empêchements évidents à ce « devoir de visite ».

 

Le premier, pas forcément dans l’ordre, c’est qu’on voit mal comment matériellement on va organiser le contrôle et la contrainte.

On voit mal les pères présenter une « carte de visite » et les mères leur coller un tampon de validation tous les 15 jours.

«  Et à la 25ème case cochée : un week-end acheté, un week-end offert ! ». Lunaire.

Et on voit encore moins les JAF et les greffes en manque d’effectifs et saturés être saisis pour faire appliquer ce devoir.

« Une date d’audience ? Bien sûr. On a rien avant 6 mois »

Quant aux juridictions pénales pour une éventuelle sanction…. Soyons honnêtes, elles goûtent assez peu le contentieux familial.
Faites délivrer une citation directe pour abandon de famille…. Vous verrez …

 

Mais surtout revenons-en à l’essentiel : l’intérêt de l’enfant !

Où est l’intérêt de l’enfant, le lien de qualité, l’épanouissement pour un enfant dans ses week-ends avec un parent qui le prend « parce qu’il faut », « parce que c’est obligatoire », « parce que sinon panpan culcul » ?

Est-ce que vraiment  dans ce cadre contraint l’enfant va trouver tous les repères paternels, toute la réassurance, toute l’attention et tout l’amour dont il a besoin ?

Spoiler. Non.

 

Vous allez me dire : « oui ok c’est bien gentil toutes ces remarques on est d’accord, mais on fait quoi ? parce qu’il y a quand même un problème ».

Un point pour vous.

 

Mais je ne crois pas que la solution soit dans une loi nouvelle.

 

On pourrait par exemple trouver un début de solution dans les textes existant aujourd’hui et leur application.

On pourrait par exemple utiliser le levier de l’autorité parentale.

On accorderait plus facilement un exercice exclusif de l’autorité parentale à la mère qui s’occupe seule de l’enfant dont le père n’exerce jamais ses droits de visite, mais va se faire un malin plaisir d’exercer son droit de regard lorsque des démarches administratives doivent être effectuées.

Et aujourd’hui les juges y sont réticents.

 

On pourrait aussi se bouger un peu au Sénat pour permettre l’adoption de la loi Luquet adoptée en première lecture à l’Assemblée Nationale et qui modifie le régime fiscal de la pension alimentaire.

Pour rappel aujourd’hui ces pensions perçues par la mère rentrent dans son revenu fiscal donc sont taxées et imposées.

Elles sont déductibles pour le père qui les verse.

Tu la vois la double peine ?

Tu gères le quotidien, la charge mentale, le temps et  tu paies des impôts ! Ce qui est d’autant plus inique que nombre d’études montrent qu’une contribution ne permet pas de couvrir tous les besoins de l’enfant et la mère paie donc aussi en numéraire en plus de son temps.

                                        

Avec cette nouvelle loi la pension alimentaire ne serait plus comptabilisée dans le revenu imposable du parent qui la perçoit, alignant ainsi le régime fiscal de ce revenu sur les allocations familiales qui ont le même objet mais ne sont, elles , pas imposables.

En revanche le parent qui la verse continuerait lui de pouvoir la déduire de ses revenus.

Au départ il ne devait plus pouvoir la déduire…et puis il y a eu des amendements au texte…

(Est-ce que je vous dis que ça ferait donc une perte de rentrées fiscales pour l ’État et que c’est peut être pour ça qu’ils sont pas pressés de soulager les mères ? Je vous le dis ou bien… ? ça n’engage que moi)

Mais quitte à garder cette déduction, on pourrait imaginer qu’elle ne soit pas possible si le droit de visite n’est pas exercé régulièrement.

Toutefois cela re-pose le problème du contrôle et de la carte à tampon…Qui contrôlerait ? Pas facile.

 

Mais est-ce que la solution est dans la Loi ?

Je ne crois pas.

Alors oui  entamer une révolution sociétale plutôt prendra toujours plus de temps que de régler les choses  à coup de rustines législatives.

 

Mais pourtant c’est bien le modèle « patriarcal » qu’il faut revoir, celui dans lequel depuis des décennies (des siècles ?).

La mère gère les enfants, assume le soin et l’éducation et a un sens naturel du sacrifice.

Et le père travaille, ramène des sous, hausse la voix et punit.

Les pères s’investissent dans ces missions de soin, de présence, de suivi d’éducation  et c’est heureux, mais c’est récent. Pensez à vos grands parents.

 

Et dans cette nouvelle logique il faudrait donc plutôt revoir les congés maternité et paternité (on a commencé), le congé parental, le retour au travail après le congé parental, l’emploi du temps scolaire et ses amplitudes, la vraie égalité salariale et professionnelle,…

 

Bref tout un modèle social qui aujourd’hui dans son application pénalise plus les mères et encore plus lorsqu’elles sont seules que les pères.

 

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